Maman disait couramment, de manière un peu provocante « On est des manouches, nous ! » ce qui faisait pâlir d’indignation ses frères et sœurs. Et pourtant, elle n’avait pas tort. Elle était très fière de ses origines et moi j’éprouve un immense respect pour notre histoire. Lorsqu’elle parlait de son enfance, des carences, des errances, j’observais oh combien ses nombreux frères et sœurs s’enfermaient dans un mutisme absolu. A contrario d’elle, ils éprouvaient une haine et une hargne non dissimulée envers leurs géniteurs. Les non-dits et les secrets de famille les empoisonnent aujourd’hui encore jusqu’à l’indigestion.
Maman était en avance sur son temps. Pour autant, sa modernité ne l’a pas protégée des infortunes de sa vie de petite fille. On ne pouvait pas la qualifier de personne équilibrée. Elle souffrait beaucoup. Heureusement pour elle, elle ne dissimulait rien, elle aimait se raconter et c’est probablement cette sorte de thérapie qui l’a empêchée de s’enfermer complètement dans son mal-être.
Petite, je me posais beaucoup de questions, je me demandais pourquoi je ne vivais pas comme les autres, pourquoi ma mère était cette personne si étrange qui parfois me fuyait et parfois m’étouffait d’affection.
Il y a quelque temps, je prenais la direction du Mémorial de Mont-Ormel en compagnie de ma famille et de Tatie Thérèse, une de ses sœurs. Nous étions en confiance et Tatie m’a alors remémoré « l’histoire » de la famille. Montormel c’est aussi le nom du village, qui, ce jour-là, réveille en moi les paroles de ma mère : « c’est ici la maison de grand-mère ». Devant cette petite maison à colombages chargée de souvenirs, j’ai regardé mes enfants et j’ai compris l’importance de cette mémoire. Je me suis sentie porteuse de l’histoire familiale et j’ai décidé que cet héritage ne m’appartenait pas. La notion impérative de partage s’est imposée à moi, en tant qu’héritière du témoignage de ma mère. Plus tard, en consultant des archives j’ai découvert des documents et j’ai tenté de relier les contenus. J’ai pu reconstituer l‘arbre généalogique de la famille Toutain-Marochin jusqu’à 1789, date symbolique de ma révolution intérieure. Néanmoins, j’aspire à l’indulgence de ma famille. Mon analyse me concerne et l’introspection reste, bien entendu, la mienne.
L’idée d’écrire ce livre s’est concrétisée et, petit à petit, l’histoire s’est re-construite.
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REBECCA "Demain..."
Je suis née en 1997 d’une union singulière : mes parents se sont connus très jeunes, papa avait dix-sept ans et maman quatorze. J’ai déjà un frère qui a deux ans de plus que moi. Je suis une enfant désirée et, à première vue, nous formons une famille unie, mais ce n’est pas vraiment le cas.
Papa a une fâcheuse inclinaison, moche, inavouable. Pendant des années, je ne comprends pas les cris, les pleurs, les supplications de ma mère qui résonnent dans la maison. Je m’interroge, je demande à mon frère Frédéric qui me rassure. Il essaie de me protéger comme il peut, il me dit qu’il est là, il me fait des câlins et tente de me distraire. Mais je finis par comprendre l’évidence : papa est violent avec maman et je le regarde avec mes yeux d’enfant s’acharner sur elle ! Plus je grandis, plus je vois maman triste et désespérée sous les coups et les insultes de ce père dominant. Il la dévalorise, la culpabilise et la terrorise, elle a failli perdre la vie plusieurs fois et a déjà eu les côtes cassées et la mâchoire déplacée. Je souffre tellement pour elle, comment fait-elle pour supporter cela ?
Les raisons sont multiples, mais comme pour des centaines de femmes battues, il y a un espoir subjacent : l’espoir de changement. Maman travaille et pourrait donc subvenir à nos besoins, mais elle n’ose pas en parler, ce qui se comprend. Elle est aussi sous l’emprise et redoute les menaces. "Il" nous utilise pour lui faire du chantage et la culpabilise sans arrêt. Il prend maman pour sa servante, elle le sert à table, et par exemple : si le plat préparé ne lui plaît pas, elle lui en cuisine un autre. Quant à nous, nous vivons dans un climat d’insécurité permanent, nous sommes terrorisés et impuissants. Cette vie est stressante, nous sommes sous le joug de ses humeurs et nous nous inquiétons à chaque instant pour elle qui espère encore que ses enfants soient entourés d’un papa et d’une maman. Elle pense qu’un jour il changera, qu’il comprendra son devoir de père, l’espoir fait vivre…
En parler à une association, c’est difficile, enfin pour le moment, alors… elle accepte son sort, ou du moins elle le subit. Mais, nous vivons dans cette maison comme si nous étions des fantômes, il ne nous voit pas. Lorsqu’on lui parle, Il ne répond pas, il passe son temps devant la télé ou, plus tard, devant l’ordinateur. Nous ne sortons jamais, il n’est jamais présent aux fêtes d’écoles, c’est maman qui gère tout et qui nous protège. Il ne vit pas avec nous, il vit à côté de nous, mais il ne nous calcule pas. Il n’a pas intégré que nous faisons partie de sa vie.
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MONIQUE ET LOUIS DELESTRE "Un épais manteau blanc"
Nous sommes en décembre, le jour de Noël de l’année 1950. Les rues de Lille sont recouvertes d’un épais manteau blanc. Un froid intense glace les visages. À la sortie du cinéma, Le Familia, Monique et Louis se rencontrent, leurs regards bleus se croisent et se charment.
En 1954, Monique et Louis se disent « oui »
Soixante-trois ans plus tard, ils sont toujours unis et heureux de l’être. Leur affection respective est palpable. Chez eux règne une sérénité rassurante. Ils évoquent dans ce livre, leurs souvenirs d’enfance liés à la Deuxième Guerre mondiale. Leurs débuts de jeunes mariés perturbés par un événement douloureux et puis leur belle vie à l’unique objectif, celui d’apporter du bonheur à leurs deux fils, Guy et Hervé. Puis, le temps venu, la joie d’être présents dans le cœur de leurs chers petits-enfants « pain d’épices »
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GILLES ROMBOLI "Et la vie continue"
« Avec la gentillesse, la politesse et l‘honnêteté tu passeras partout,
Rappelle-toi toujours de cela »
Grand-mère Maria
Je m’entendais bien avec mon grand père Aristide, le père de mon père. Il était marchand de peaux de lapins et ferrailleur. Il est arrivé en France le 6 avril 1923 avec sa femme, ma grand-mère Maria. Il parlait français avec un accent italien et lorsqu’il s’énervait, sa langue maternelle reprenait le dessus. Nous partions à travers le pays, dans sa vieille Citroën, une camionnette B2 commerciale bâchée. Je devais avoir cinq ans, pas plus, je me vois encore assis sur la banquette deux places à l’avant. Je regardais les clignotants qui se soulevaient à l’horizontal de droite et de gauche. Une cloche était fixée à l’extérieur du véhicule, côté conducteur. Mon grand-père la faisait tinter à l’aide d’un petit maillet de bois et criait : « Peaux de lapins, peaux de lapins, poooooo ! » Les gens lui faisaient signe et après quelques conciliabules, concluaient : « On te donne la peau, mais tu tues le lapin. » Alors mon grand-père, armé de son couteau en os qui ne le quittait jamais, tranchait la gorge du lapin et le dépouillait. S’en suivait le petit canon offert par la maison. Et ce jour-là, nous en avons tué des lapins ! Les peaux étaient ensuite étirées sur un tendeur en ferraille et étaient séchées suspendues à de grands tubes ronds métalliques qui traversaient la soupente du grenier.
Il récupérait également la ferraille qu’il pesait avec son peson et je ne sais pas comment il calculait mais ça finissait toujours par un calcul savant : « Allez hop, 42,8 = trois francs. » Il faisait celui qui calcule mais, en fait, c’était assez bidon. Le tout était ensuite revendu à une société, la Maison Chazel...
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EMILIA KOWAL "Un petit air de mazurka"
En 1944, j’ai six ans et j’intègre le cours préparatoire. Je ne parle pas vraiment français, mais j’apprends très vite.
Les garçons et les filles ne sont pas mélangés, sauf en maternelle. Je vais à l'école, de 8 heures à 12 heures et de 14 heures à 16heures, le lundi, le mardi, le mercredi, le jeudi matin, le vendredi et le samedi.
En général, les garçons jouent aux billes, à cache-cache, à la balle aux prisonniers et aux gendarmes et aux voleurs. Nous, les filles nous préférons la marelle et la corde à sauter.
Nos pupitres sont en bois avec un trou pour l'encrier et avec le banc attaché. Nous écrivons avec des portes plumes sergent major à l'encre violette sur des cahiers, des feuilles ou à la craie sur des ardoises. Le port du tablier est obligatoire, car il faut être "prop" !
Pour nous récompenser de bonnes notes on nous distribue des bons points, et pour les punitions on a droit au bonnet d’âne, des lignes à copier ou encore de faire le tour de la cour. L'instituteur tape aussi sur le bout de nos doigts avec sa règle, ce qui semble incroyable aujourd’hui !
Au programme : leçon de morale, français, dictée, conjugaison, calcul mental, histoire, géographie, sciences naturelles et gymnastique.
Compte tenu de la période, certains instituteurs ne restaient qu'une semaine, car les trois quarts étaient partis à la guerre. Ils ne restaient que des institutrices et des instituteurs plus âgés.
Mes parents parlant polonais, nous parlions polonais à la maison. Mon père parlait un peu français, car il travaillait à l’extérieur, mais ma mère n’en éprouvait certainement pas le besoin, elle disait quelques mots utiles comme merci, bonjour-bonsoir, soit, quasiment rien. Elle communiquait peu avec les voisins, pourtant il y avait une communauté polonaise importante dans la cité.
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BIOGRAPHE FAMILIALE PRIVE
ECRIVAIN PUBLIC
RÉDACTRICE FREE LANCE